Novembre 2018 - MEDITATION et Liberté Bouddhisme et Spiritualité

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Novembre 2018

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TEMPS D'OR, TEMPS DE PLOMB, TEMPS DE PACOTILLE
Je dédie cette page à une personne qui compte beaucoup pour moi


Réflexion sur le gaspillage du temps
Un jour, au Népal, j'ai été invité dans un lieu étonnant : un hôtel de luxe bâti au bord d'un immense canyon. D'un côté une nature splendide, l'incroyable beauté de l'Himalaya enneigé, l'immensité sauvage de ce défilé fascinant, comme découpé dans un autre monde ; de l'autre, un luxe si vain. Au milieu de la nuit, l'obscurité fut déchirée par le fracas d'une douzaine de coups de tonnerre ; la scène suscitait un mélange de fascination pour la beauté déployée par la nature et de lassitude devant l'inutilité et la superficialité de notre lieu de séjour.
Cette lassitude venait d'une réflexion sur le gaspillage du temps.
Le temps est souvent comparable à une fine poudre d'or que nous laisserions couler distraitement entre nos doigts sans même nous en apercevoir. Utilisé à bon escient, il devient la navette que l'on fait courir entre les fils des jours pour tisser l'étoffe de la vie. Il est donc essentiel à la quête du bonheur de prendre conscience que le temps est notre bien le plus précieux.
Sans causer de tort à personne, il faut avoir la force d'esprit de ne pas céder à la petite voix qui nous susurre d'accorder d'incessantes concessions aux exigences de la vie quotidienne. Pourquoi hésiter à faire table rase du superflu ? Quel avantage y a-t-il à se consacrer au superficiel et à l'inutile ? Ainsi que le dit Sénèque : "Ce n'est pas que nous disposions de très peu de temps, c'est plutôt que nous en perdons beaucoup."
Le temps d'or
La vie est courte. Si l'on ne cesse de reporter l'essentiel à plus tard pour se laisser piéger par les contraintes incohérentes de la société, on sera toujours perdant. Les années ou les heures qui nous restent à vivre sont comme une précieuse substance qui s'effrite facilement et n'offre aucune résistance au gaspillage. Malgré son immense valeur, le temps ne sait se protéger lui-même, tel un enfant que le premier venu emmène par la main.
Pour l'homme actif, le temps d'or est celui qui permet de créer, de construire, d'accomplir, de se consacrer au bien des autres et à l'épanouissement de sa propre existence. Quant au contemplatif, le temps lui permet de regarder lucidement en lui-même pour éclairer son monde intérieur et retrouver l'essence de l'existence.
C'est le temps d'or qui, en dépit d'une inaction apparente, permet de jouir pleinement du moment présent. Dans la journée d'un ermite, chaque instant est un trésor. Même dans un état de parfaite détente, libre de constructions mentales, le temps de l'ermite n'est jamais gaspillé. Il a une richesse, une densite telles que le sage continue sa transformation intérieure, sans effort, comme un fleuve qui coule majestueusement vers l'océan de l'Eveil. Dans le silence de son ermitage, il devient "une flûte au coeur de laquelle le murmure des heures se change en musique".
Le temps de plomb
Le désoeuvré parle de "tuer le temps". Quelle terrible expression ! Le temps n'est plus alors qu'une longue ligne droite monotone. C'est le temps de plomb : il pèse sur l'oisif comme un fardeau et accable celui qui ne supporte pas l'attente, le retard, l'ennui, la solitude, la contrariété et parfois même l'existence. Chaque instant qui passe aggrave son emprisonnement. Pour d'autres, le temps n'est plus que le compte à rebours vers une mort qu'ils redoutent, ou qu'ils appellent parfois de leurs voeux quand ils sont las de vivre. "Le temps qu'ils n'arrivaient pas à tuer finit par les tuer."
Je me souviens d'une visite dans le sud de la france avec un groupe de moines du monastère où je vis au Népal. Quelques retraités jouaient aux boules sur une place. Je m'aperçus que l'un des moines avait les larmes aux yeux. Il se tourna vers moi et dit : "Ils jouent... comme des enfants !" et ajouta : "Chez nous, à l'approche de la mort, les vieillards qui ne travaillent plus consacrent leur temps à la méditation et la prière."
Revenir au temps d'or
Ressentir le temps comme une expérience pénible et insipide, sentir qu'on n'a rien fait au terme de la journée, au terme d'une année puis au terme de la vie, signale à quel point nous demeurons inconscients du potentiel d'épanouissement dont nous sommes porteurs.
Comment acceptons-nous de ne pas consacrer même quelques brefs instants par jour à l'introspection contemplative ? Sommes-nous à ce point endurcis, insensibles, blasés ? Quelques activités respectables, de brillantes conversations et de futiles divertissements suffiraient-ils à nous combler ? Ils peuvent au mieux occulter la fuite des jours. Mais est-ce la bonne solution que de fermer les yeux sur l'effritement de notre vie pour ne les entrouvrir craintivement qu'à la veille de la mort ? N'est-il pas préférable de les ouvrir grands dès maintenant, pour nous demander : "Comment donner un sens à ma vie ?"
Pourquoi ne pas nous asseoir au sommet d'une montagne ou dans une chambre tranquille, afin d'examiner ce dont nous sommes faits au plus profond de nous ? Examinons tout d'abord clairement ce qui, pour nous, compte le plus dans la vie, puis établissons des priorités entre ce qui est essentiel et les autres activités qui envahissent notre temps.
Les gens prétendent ne pas avoir le temps de méditer. Ce n'est pas vrai ! Vous pouvez méditer en attendant que l'eau du café bouille, en faisant votre toilette, ou dans les transports en commun. Il faut prendre l'habitude d'être présent.
Le temps nous est compté : depuis le jour de notre naissance, chaque instant, chaque pas que nous faisons nous rapproche de la mort. L'ermite tibétain Patrul Rinpoché nous le rappelle poétiquement : "Votre vie s'éloigne comme le soleil couchant, la mort approche comme les ombres du soir."
d'après Matthieu Ricard
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